Il voudrait…Il voudrait écrire, joliment, aisément. Il y parvient, durant une ligne. Mais ses doigts gourds, ses doigts crispés, sa main malhabile, ne veulent plus. Il en ressent des crampes, ne peut plus écouter le cours. Il s’efforce encore, toute sa concentration placée dans l’écriture. Ce geste que d’autres maîtrisent. Sa main, ses yeux, lui jouent des tours, les boucles s’emmêlent, il oublie des morceaux de mots. Ratures. Consternation. Car la sentence risque d’être sévère…Il a voulu mais il n’a pu. Handicapé moteur, dans tous les gestes fins, précis. Un handicap, parait-il, invisible ? Comment peut-on ne pas voir ses gribouillis ? Pourquoi ce handicap est-il ignoré ?
Votre élève est dyspraxique ou "juste dysgraphique", le diagnostic est posé par un médecin neurologue, un bilan ergothérapique l'a relevé, et l’information est communiquée à tous ses enseignants.
…« Il faut qu’il écrive, c’est nécessaire dans la vie »…« Je crains, s’il n’écrit plus, qu’il ne puisse plus rédiger un texte »… « Avec de l’entrainement, il progressera »...« Son professeur exige qu’il écrive »… « Elle écrit parfaitement, juste lentement, elle ne peut être dysgraphique. »…« Je ne vois pas le rapport entre des gestes maladroits et une dyslexie »
On lit très souvent ces phrases dans des témoignages, qu’ils soient d’enseignants ou de parents. Elles montrent combien il est difficile de comprendre comment nous réalisons un geste volontaire.
.Pour réaliser un geste appris, appelé aussi praxie, il faut d’abord passer par une étape d’apprentissage incontournable, suivie d’une automatisation de ces mouvements.
C’est la définition même des dyspraxies : trouble de la coordination ET de l’automatisation des gestes dirigés vers un but. Une atteinte neurologique des praxies, à vie.
La personne dyspraxique ne pourra pas automatiser ses gestes. Elle devra TOUJOURS se concentrer pour les réaliser. Exactement comme en phase d’apprentissage.
TROUBLES DE LA COORDINATION
Les personnes dyspraxiques ont des troubles neurologiques de la coordination (allure maladroite ou « non téméraire », gêne dans des gestes du quotidien dont le fameux laçage des chaussures…d’où la mode des lacets non fermés actuelle, l’idée d’un enfant dyspraxique malin ?).
APPRENTISSAGE ET AUTOMATISATION
Qui réalise que nos gestes volontaires, dirigés vers un but (praxies) sont le résultat d’un apprentissage suivi d’une automatisation ? Bien peu d’entre nous. Et pour cause, personne ne songe à nous l’expliquer.
PHASE DAPPRENTISSAGE :
Les tout-petits nous font régulièrement la démonstration de l’apprentissage de nouveaux mouvements par essais-erreurs. D’abord ils échouent, renversent le gobelet, loupent la balle, cassent la mine du crayon. Puis leurs gestes s’affinent, ils sont mieux coordonnés pour réaliser un objectif. L’enfant s’applique encore au début, les contrôle volontairement et les réussit. Jusqu’à un jour, les réaliser spontanément et sans effort : ils sont automatisés, réflexes. Les gestes du quotidien ne demanderont plus d’effort de concentration, heureusement.
L’exemple frappant chez un adulte est celui de la conduite automobile. Au début, on réfléchit sans cesse pour coordonner chaque mouvement, la voiture cale, on recule en démarrage en côte, on oublie le clignotant, on confond droite-gauche. Le moniteur est là pour regarder la route, heureusement ! Ensuite, on conduit « sans réfléchir », capable de nous concentrer sur la route. En conduite automatique !
AUTOMATISATION
C’est une étape fondamentale, tous nos gestes volontaires du quotidien deviennent réflexes. Il n’y a plus besoin de se concentrer pour nous habiller, gérer les outils de notre profession, conduire, etc... On peut écrire les yeux fermés !
Cette automatisation évite l’épuisement, elle nous libère pour réaliser d’autres actions et garder notre concentration. On peut conduire axé sur notre route.
Cette automatisation est impossible chez les dyspraxiques. Ainsi, les faire écrire coûte que coûte…intention qui part de l’idée d’un entraînement et d’obtenir un geste réflexe…ne sert absolument à rien sinon à épuiser l’enfant. Il restera dans un geste réfléchi, volontaire.
MILIEU SCOLAIRE, ECRITURE ET LECTURE
ECRITURE
Les gestes de l’écriture impliquent une coordination fine des mouvements des doigts, de la main, du poignet, de l’épaule et de la position du corps. Mais aussi des mouvements de nos muscles oculaires.
Souvenez - vous des lignes d’écriture en maternelle puis en CP…L’écriture est d’abord un travail de CALLIGRAPHIE, un LONG APPRENTISSAGE où l’enfant se concentre sur la réalisation des lettres.
IL FAUT 5 à 6 ANS D’ENTRAINEMENT POUR QUE L’ECRITURE DEVIENNE AUTOMATIQUE. Avant, elle est appliquée, « infantile ».
Pour le passage au collège, elle est censée être devenue automatique, rapide, acquise. Elle se personnalise lors de cette automatisation.
UN ELEVE DYSPRAXIQUE et/ou DYSGRAPHIQUE N’AUTOMATISERA JAMAIS LE GESTE D’ECRITURE. C’est tout simplement impossible. Soit il écrira « correctement » mais lentement, soit il sera illisible ou écrira fort mal. Toujours trop lentement pour son âge.
Ecrire demandera des efforts permanents de concentration pour parvenir à calligraphier.
Il aura des difficultés à :
- tenir son crayon (position des doigts)
- serrer son crayon en ajustant sa direction sur la feuille
- appuyer correctement sur la feuille
- déplacer son poignet et son avant-bras pour poursuivre un texte
- gérer la position de la feuille et les espaces
- gérer les positions de son corps
Souvent, il sera en souffrance physique, crispé dans ses efforts (crampes jusqu’à tendinites du poignet).
Durant ce temps d’écriture, son énergie sera concentrée sur cette tâche. Ainsi écrire tout en écoutant le cours, écrire tout en lisant au tableau, empêche l’élève dyspraxique de se concentrer sur le contenu du cours. Il sera en « double tâche ». Toujours. Au détriment des apprentissages.
LA LECTURE
Dans les dyspraxies, on observe des troubles de la coordination des mouvements (donc, de la coordination des muscles). Les muscles fins n’échappent pas à ces atteintes neurologiques.
Chez nombre de dyspraxiques, on constate des atteintes visuospatiales.
Les muscles fins les plus sollicités (des milliers de mouvements divers chaque jour) sont nos 6 muscles oculaires.
Une bonne vision ne se limite pas à avoir 10/10 en fixant une image. Elle implique de :
- coordonner nos deux yeux, vision binoculaire sans « diploper » (voir 2 fois l’image ou la lettre). Pour ceci, il faut une convergence parfaite des yeux.
- les yeux doivent constamment balayer l’espace en son entier (feuille A4 ou page du livre). Ils effectuent sans cesse des microsaccades en mouvements harmonieux.
- fixer la cible (un mot)
- accommoder pour voir net
Les enfants dyspraxiques ont des atteintes oculomotrices et souvent neurovisuelles qui touchent toutes ces étapes de la vision nécessaires pour la lecture ( et l’écriture).
Ainsi, ils seront souvent dyslexiques par « malvoyance » d’origine neurologique.
- Dans un texte, zones non vues pour lire ou copier au tableau. Repérages spatiaux impossibles.
- Lecture impossible si texte trop petit ou lignes trop serrées
- Discrimination visuelle impossible sur des documents trop denses ou trop petits ( carte géo, schémas SVT, repérages des lignes en géométrie).
POUR CONCLURE
En résumé, un dyspraxique ne peut automatiser des gestes appris tel l’écriture. Ses troubles de la coordination vont se répercuter sur les gestes fins tels l’écriture et la lecture.
Pour ces élèves, afin de leur permettre de suivre en classe sans s’épuiser, il est primordial de :
- leur éviter la « double tâche » en les dispensant d’écrire autant que possible ( usage de l’ordinateur, cours sur clé USB ou photocopiés ou repris par scanner sur celui d’un camarade de classe).
- adapter les supports de travail (lecture d’ouvrage sur ordinateur, agrandissement des documents, consignes et cours aérés , espaces suffisants pour répondre etc…). Favoriser l’oral lors d’évaluations.
Nous souhaitons que ce document propose à nos amis enseignants des pistes pour mieux comprendre et accompagner les élèves dyspraxiques et leur permettre de réussir dans leur scolarité. E qu’il aidera aussi nombre de parents pour leurs enfants. Il est non exhaustif, ne développe pas toutes les situations, est certes incomplet mais ce qui importe est qu’il soit accessible et compréhensible pour tous. Nous espérons avoir tenu cet objectif.
Régine Salvat.